Honoré de Balzac (1799-1850) Scènes de la vie privée, Le contrat de mariage, La Bibliothèque électronique du Québec, Collection À tous les vents, Volume 1054 : version 1.0
Aujourd’hui les femmes doivent être élevées pour le salon comme autrefois elles l’étaient pour le gynécée. Tu n’es faite ni pour être mère de famille, ni pour devenir un intendant. Si tu as des enfants, j’espère qu’ils n’arriveront pas de manière à te gâter la taille le lendemain de ton mariage ; rien n’est plus bourgeois que d’être grosse un mois après la cérémonie, et d’abord cela prouve qu’un mari ne nous aime pas bien. Si donc tu as des enfants, deux ou trois ans après ton mariage, eh ! bien, les gouvernantes et les précepteurs les élèveront. Toi, sois la grande dame qui représente le luxe et le plaisir de la maison ; mais sois une supériorité visible seulement dans les choses qui flattent l’amourpropre des hommes, et cache la supériorité que tu pourras acquérir dans les grandes. – Mais vous m’effrayez, chère maman, s’écria Natalie. Comment me souviendrai-je de ces préceptes ? Comment vais-je faire, moi si étourdie, si enfant, pour tout calculer, pour réfléchir avant d’agir ? – Mais, ma chère petite, je ne te dis 186 aujourd’hui que ce que tu apprendrais plus tard, mais en achetant ton expérience par des fautes cruelles, par des erreurs de conduite qui te causeraient des regrets et embarrasseraient ta vie. – Mais par quoi commencer ? dit naïvement Natalie. – L’instinct te guidera, reprit la mère. En ce moment, Paul te désire beaucoup plus qu’il ne t’aime ; car l’amour enfanté par les désirs est une espérance, et celui qui succède à leur satisfaction est la réalité. Là, ma chère, sera ton pouvoir, là est toute la question. Quelle femme n’est pas aimée la veille ? sois-le le lendemain, tu le seras toujours. Paul est un homme faible, qui se façonne facilement à l’habitude, s’il te cède une première fois, il cédera toujours. Une femme ardemment désirée peut tout demander : ne fais pas la folie que j’ai vu faire à beaucoup de femmes qui, ne connaissant pas l’importance des premières heures où nous régnons, les emploient à des niaiseries, à des sottises sans portée. Serstoi de l’empire que te donnera la première passion de ton mari pour l’habituer à t’obéir. 187 Mais pour le faire céder, choisis la chose la plus déraisonnable, afin de bien mesurer l’étendue de ta puissance par l’étendue de la concession. Quel mérite aurais-tu en lui faisant vouloir une chose raisonnable ? Serait-ce à toi qu’il obéirait ? Il faut toujours attaquer le taureau par les cornes, dit un proverbe castillan ; une fois qu’il a vu l’inutilité de ses défenses et de sa force, il est dompté. Si ton mari fait une sottise pour toi, tu le gouverneras. – Mon Dieu ! pourquoi tout cela ? – Parce que, mon enfant, le mariage dure toute la vie et qu’un mari n’est pas un homme comme un autre. Aussi, ne fais jamais la folie de te livrer en quoi que ce soit. Garde une constante réserve dans tes discours et dans tes actions, tu peux même aller sans danger jusqu’à la froideur, car on peut la modifier à son gré, tandis qu’il n’y a rien au-delà des expressions extrêmes de l’amour. Un mari, ma chère, est le seul homme avec lequel une femme ne peut rien se permettre. Rien n’est d’ailleurs plus facile que de garder sa dignité. Ces mots : « Votre femme ne doit pas, votre femme 188 ne peut pas faire ou dire telle et telle chose ! » sont le grand talisman. Toute la vie d’une femme est dans : – Je ne veux pas ! – Je ne peux pas ! Je ne peux pas est l’irrésistible argument de la faiblesse qui se couche, qui pleure et séduit. Je ne veux pas, est le dernier argument. La force féminine se montre alors tout entière ; aussi doiton ne l’employer que dans les occasions graves. Le succès est tout entier dans les manières dont une femme se sert de ces deux mots, les commente et les varie. Mais il est un moyen de domination meilleur que ceux-ci qui semblent comporter des débats. Moi, ma chère, j’ai régné par la Foi. Si ton mari croit en toi, tu peux tout. Pour lui inspirer cette religion, il faut lui persuader que tu le comprends. Et ne pense pas que ce soit chose facile : une femme peut toujours prouver à un homme qu’il est aimé, mais il est plus difficile de lui faire avouer qu’il est compris. Je dois te dire tout à toi, mon enfant, car pour toi la vie avec ses complications, la vie où deux volontés doivent s’accorder, va commencer demain ! Songes-tu bien à cette difficulté ? Le meilleur moyen d’accorder vos deux volontés est 189 de t’arranger à ce qu’il n’y en ait qu’une seule au logis. Beaucoup de gens prétendent qu’une femme se crée des malheurs en changeant ainsi de rôle ; mais, ma chère, une femme est ainsi maîtresse de commander aux événements au lieu de les subir, et ce seul avantage compense tous les inconvénients possibles. Natalie baisa les mains de sa mère en y laissant des larmes de reconnaissance. Comme les femmes chez lesquelles la passion physique n’échauffe point la passion morale, elle comprit tout à coup la portée de cette haute politique de femme ; mais semblable aux enfants gâtés qui ne se tiennent pas pour battus par les raisons les plus solides, et qui reproduisent obstinément leur désir, elle revint à la charge avec un de ces arguments personnels que suggère la logique droite des enfants. – Chère mère, dit-elle, il y a quelques jours, vous parliez tant des préparations nécessaires à la fortune de Paul que vous seule pouviez diriger, pourquoi changez-vous d’avis en nous abandonnant ainsi à nous-mêmes ?
Honoré de Balzac (1799-1850) Scènes de la vie privée, Le contrat de mariage, La Bibliothèque électronique du Québec, Collection À tous les vents, Volume 1054 : version 1.0
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